À travers tous les festivals africains du cinéma, la principale problématique débattue reste celle du financement de la production cinématographique. Et comment est-il financé ? L’argent vient-il principalement d’Europe ? Nos cinéastes ont toujours, lors des rencontres de la FEPACI, sollicité ou revendiqué la mise en place d’un fonds africain pour le cinéma africain, un fonds qui soit placé sous l’égide de l’Union africaine. En effet, nos cinéastes africains, chaque fois qu’ils se retrouvent, manifestent leur vœu de faire financer la production cinématographique africaine par les producteurs africains, autrement dit par des investisseurs africains.

Des voix se sont élevées, ici même à Khouribga, pour remettre en question le financement du cinéma africain, notamment par la francophonie.  Ainsi, les acteurs publics et privés africains sont  sollicités, à chaque fois, pour contribuer au Fonds Panafricain d’Aide au cinéma, une structure révolutionnaire dans le Septième Art africain, afin d’œuvrer pour un système de financement du cinéma africain constant et efficient. On a même convaincu cette organisation à l’inscrire dans ses recommandations dans le cadre d’une coopération bilatérale avec l’Organisation internationale de la Francophonie qui manifesta sa disposition à  apporter son aide, mais à quelles conditions ?

Dans cette même optique, la 22e édition du FICAK choisit pour thème au colloque principal du festival et encore une fois, cette problématique combien épineuse du financement du cinéma d’Afrique. On opta pour ce panel pour deux expériences marocaines dont celle de la jeune réalisatrice Mariam Ait Belhoucine et auteure d’une thèse de doctorat « Cinéma du Maroc » et celle du vétéran du cinéma marocain Driss Chouika et producteur, en plus d’une expérience camerounaise en la personne du réalisateur et producteur réalisateur de cinéma.

              Notre jeune réalisatrice mit en exergue la contribution du FICAK au développement du cinéma de notre continent et nota l’indéniable attachement des marocains à leur identité marocaine et africaine, relata dans les détails son intrusion dans les rouages du cinéma. Bénéficiant de fonds publics par le biais du CCM dans le cadre du soutien à la production. La jeune réalisatrice insista surtout sur le fait que toute production d’un film est appelée à répondre à un besoin socioculturel et artistique à l’aide d’une méthodologie rigoureuse et à la base d’un monde auquel il faut s’adapter à l’image d’une jeune mère, comme son cas, qui doit vivre l’éducation de son enfant.

             Le soutien de l’État, qui doit continuer d’exister, doit donc accompagner le cinéma dans tous ses rouages, dut-elle préciser, un cinéma qui permet aussi l’ouverture vers d’autres cinémas. En dehors du Maroc, chercher d’autres sources de financements. Mais à quelles conditions ? On peut aussi impliquer le financement privé dans la production cinématographique par le biais des entreprises, mais c’est un rouage qui doit être institutionnalisé. L’investissement à retour nécessite aussi un arsenal juridique et la vente vers les chaines et les plateformes audiovisuelles se trouve handicapée par l’absence de salles de cinéma ou de plateformes de commercialisation. Mariam fit part enfin à l’assistance des  déchirures idéologiques et des manipulations émotionnelles que vivent nos jeunes réalisateurs.

Mariam Ait Lhoucine

            Le réalisateur camerounais se lança dans un long itinéraire durant lequel il a vécu réalité et chimères en France. Il commença avec un matériel amateur, ensuite il a autofinancé ses premiers films dont des courts métrages et des documentaires. Pour lui, pour faire un film, il faut certes un scénariste, un producteur, mais il faut inévitablement un distributeur et ce fut alors qu’il collabora avec Canal Plus. Un véritable rapport de force entre la réalisation et le financement  auquel on est contraint d’y plier et souvent ses films intéressent beaucoup plus les français que les camerounais. « Je suis distributeur en France, dut-il préciser, pour des films qui intéressent beaucoup plus les français que les africains. »

Jean Rock Patoudem

              Fort de sa riche et longue expérience dans les milieux cinéphiles, il commença dans les émissions télé. Pour Chouika, le problème, c’est un côté marché et un côté public. On n’a jamais cessé de crier haut et fort que le plus important, c’est la diffusion du produit, mais ce cri n’a jamais abouti et on ne cherchait donc qu’à survivre dans le domaine cinématographique. La contribution des fonds publics a débuté en 1980 et devant l’inconstance des partenariats, à cause de l’absence des retours et des obstacles  en matière de diffusion et de distribution, on aboutit à une certaine déperdition des fonds publics. Il fallait gérer la confiance et travailler dans l’optique de nouvelles tendances ou nouvelles plateformes qui permettraient le dépassement des attentes de l’aide étatique.     Enfin, on compte beaucoup sur les « réelles » coproductions internes initiées surtout en termes d’aides techniques. En général, on est toujours obligés, par la force des choses, de quémander des conventions de production étatiques et interétatiques.

Driss Chouika

Débats

L’assistance a suivi avec un grand intérêt les itinéraires combien épineux de nos trois cinéastes avec des fois des moments d’émotion, il en résultat et à l’unanimité que la passion du cinéma existe, que le rêve de faire du beau et du grand cinéma existe, que l’esprit de l’innovation et de la créativité existe, mais les rouages de la production cinématographique et surtout de la distribution sont « jonchés » de manipulations des fois occultes et beaucoup de jeunes réalisateurs, stressés pour ne pas dire « déchirés » entre rêve et réalités bien amères, abandonnent à mi-chemin …

Financement, production, coproduction en Afrique, un débat qui tourne souvent à l’illusion et à la désillusion, alors comment faire se demanda la salle ? Beaucoup de colloques et de recommandations sont restées « lettres »mortes » dut déclamer un intervenant. Quand on demande des aides externes à l’Afrique, on n’a plus cette liberté d’exprimer nos idées et nos idéaux. Dans tous les cas, il faut revenir aux films qui racontent, qui parlent l’Afrique, dut s’écrier un intervenant dans cette douce colère propre à notre continent doublée d’un soupir qui en dit long. 2 millions d’euros pour 600 productions cinématographiques, comment faire et partager ce pactole, dénonça un cinéaste tunisien, « on est dans le négatif dès le départ ». Au Cameroun par exemple, il n y a pas de salles de cinéma et quand on fait un film camerounais, il passe en France, allez comprendre !

Seule la coproduction entre Etats africains reste une lueur d’espoir de développer la production cinématographique africaine. Il faut donc changer de paradigmes car l’a si bien dit un intervenant, le cinéma est un art, mais dès que le côté argent s’interfère, le côté artistique, culturel et même humain s’y perd. Enfin des intervenants interpellent les instances élues pour exercer leurs influences sur l’exécutif ne serait ce que pour construire ou rouvrir des salles de cinéma…

   Bulletin ELAZHAR